Ou comment l'Histoire nous montre que l'immobilier peut catalyser ce qu'il ne crée jamais seul
Par Maître Thomas CARBONNIER
Avocat fiscaliste, Président de l'UNPI 95
Mes chers propriétaires, voici ma thèse : l'immobilier ne cause jamais les révolutions, mais il peut cruellement amplifier ce qui finit par les provoquer.
Quatre histoires pour le démontrer. Une leçon pour notre France de 2025.
1955-1968, Sverdlovsk. Boris Eltsine, ingénieur brillant et communiste convaincu, construit massivement des khrouchtchevkas – ces immeubles de 5 étages avec couloirs et cages d'escalier partagés.
Ce que le régime n'avait pas vu : ces espaces de circulation permettaient aux voisins de se croiser "par hasard", de se rendre visite discrètement. Dans un immeuble de 80 appartements, le KGB ne pouvait pas tout surveiller.
Résultat : Années 1980, ces immeubles deviennent les QG des mouvements démocratiques. Eltsine lui-même, devenu dissident, fréquente les appartements qu'il a construits vingt ans plus tôt.
Multifactorialité : Les khrouchtchevkas n'ont PAS causé la chute de l'URSS (effondrement économique, course aux armements, glasnost, nationalités...). Mais elles ont fourni l'infrastructure matérielle où la dissidence a pu s'organiser.
Leçon : L'architecture crée des espaces qui échappent au contrôle. Un facteur facilitant, jamais une cause unique.
Paris, 1848-1871. Haussmann veut moderniser Paris ET éloigner les classes dangereuses. 18 000 maisons rasées, 350 000 personnes déplacées vers la périphérie.
1871 : La Commune éclate. Dans les quartiers périphériques précisément – Belleville, Ménilmontant – où ont été concentrés les ouvriers.
Multifactorialité : défaite militaire, siège de Paris, Thiers capitulard, revendications sociales, traditions révolutionnaires... L'haussmannisation n'a pas CAUSÉ la Commune. Mais elle a concentré géographiquement les frustrés, facilitant leur mobilisation.
Leçon : La ségrégation spatiale concentre et cristallise. Elle transforme des difficultés individuelles en identité collective explosive.
Sautons dans le temps. Le Caire, 2011. Le Printemps arabe éclate. Les explications fusent : chômage, corruption, dictature... Mais une donnée essentielle est longtemps passée inaperçue : l'inégalité immobilière massive.
Le paradoxe égyptien : Les statistiques officielles montraient une inégalité "modérée" (Gini à 36,4). La Banque mondiale concluait même que l'inégalité n'expliquait pas le Printemps arabe.
Sauf que : Une étude de 2016 (van der Weide et al.) a révélé que quand on intègre les prix de l'immobilier dans le calcul, le coefficient de Gini pour l'Égypte urbaine passe de 36,4 à 47. Une inégalité MASSIVE, masquée par des données officielles incomplètes.
Sur le terrain : Les élites connectées construisaient des gated communities luxueuses pendant que la majorité des Égyptiens vivaient dans des logements "informels" (illégaux), des bidonvilles périphériques sans services publics. En Égypte, 60-70% de la production de logements urbains est informelle. En Tunisie, ça approche 50%.
La dimension spatiale : Les banlieues informelles du Caire (Imbaba, Boulaq al-Dakrour, Manshiyet Nasser...) concentraient pauvreté, chômage des jeunes, absence de services, ET la violence psychologique de voir les élites vivre dans un autre monde géographiquement proche mais inaccessible.
Place Tahrir, janvier 2011 : Les manifestants ne venaient pas que du centre-ville. Beaucoup venaient de ces quartiers périphériques informels. La révolte avait une géographie.
Multifactorialité : Le Printemps arabe a des causes multiples – corruption effrénée de Moubarak, chômage des jeunes (25-30%), censure, violences policières, inflation alimentaire, contexte régional (Tunisie venait de renverser Ben Ali)...
MAIS la ségrégation spatiale matérialisait toutes ces injustices. L'immobilier n'a pas causé la révolution. Il a amplifié visuellement, géographiquement, psychologiquement l'injustice de classe.
Leçon : L'immobilier révèle et amplifie des inégalités qu'on préfère ne pas voir. Quand les élites se barricadent dans des enclaves pendant que les masses s'entassent dans l'informel, la fracture devient explosive.
Pause. Parlons de ce qu'on oublie : l'effet PSYCHOLOGIQUE de la ségrégation spatiale.
Ce que montrent les recherches :
1. La stigmatisation spatiale détruit la santé mentale Étude Yale (2020) : les personnes percevant leur quartier comme stigmatisé présentent significativement plus de dépression et d'anxiété – même en contrôlant revenus et composition raciale.
2. Votre code postal devient un casier judiciaire invisible Expérience (2015) : annonces de vente d'iPhone identiques, seule l'adresse change. Résultat ? Quartiers défavorisés = significativement moins de réponses.
3. L'intériorisation du stigmate "Je viens de Sarcelles" devient une excuse anticipée. L'identité spatiale négative s'imprime dans l'estime de soi, les ambitions, la capacité à se projeter.
Au Caire, avant 2011 : Vivre à Imbaba (bidonville) vs Zamalek (quartier chic) ne signifiait pas juste "être pauvre vs riche". C'était porter un stigmate spatial permanent. Discrimination à l'embauche, contrôles policiers plus fréquents, services publics absents.
Ce qu'on en retient : La ségrégation n'est pas qu'une question de statistiques. C'est une violence psychologique permanente qui épuise, stigmatise, enferme.
Et c'est un amplificateur redoutable : frustration économique + violence symbolique spatiale = cocotte-minute identitaire.
Avant de revenir à la France, regardons l'Allemagne. Pourquoi ? Parce qu'ils ont des moyens, une culture de mixité sociale (Mischung), et pourtant...
Le dogme allemand : maintenir la mixité sociale dans les grands ensembles. Éviter la concentration de pauvreté.
Le problème :
Ce qui marche mieux selon les chercheurs allemands : Au lieu de diluer les pauvres, investir massivement dans les quartiers : transports excellents, écoles sur-dotées, équipements culturels, services publics renforcés.
Leçon : Même l'Allemagne riche n'a pas de solution miracle. Les réponses simples (mixité magique, réglementation punitive) échouent. Il faut investir intelligemment.
Revenons chez nous. Avec lucidité.
D'abord, la complexité : Nos fractures sont multiples – chômage, discriminations, échec scolaire, services publics absents, crise identitaire. L'immobilier est UN facteur parmi beaucoup d'autres.
MAIS c'est le marqueur spatial ET le poison psychologique de toutes ces fractures.
Ce que produisent nos politiques actuelles :
1. Une ségrégation spatiale croissante
2. Des territoires qui cumulent TOUT Nos banlieues concentrent :
Exactement comme les banlieues informelles du Caire avant 2011.
3. Une identité collective de relégation Un jeune chômeur dans un quartier mixte vit sa situation différemment d'un jeune où TOUS ses voisins galèrent, TOUTES les écoles sont pourries, SON code postal le discrimine.
Dans le second cas : "NOUS sommes relégués par EUX". Identité collective territorialisée.
Les émeutes de 2005 et 2023 ont des causes multiples (événements déclencheurs, tensions policières, discriminations, chômage...). La ségrégation spatiale n'est pas LA cause. Mais elle concentre, cristallise, amplifie.
Question brutale : Sommes-nous en train de refaire Haussmann ? De créer des zones de concentration de la colère qui finiront par exploser ?
Face à cette situation, l'UNPI 95 défend les propriétaires responsables : ceux qui louent honnêtement, entretiennent leur bien, mais sont étranglés par une réglementation qui ne distingue pas les acteurs.
Notre combat quotidien :
1. Lobby politique
2. Entraide entre bailleurs
3. Formation et veille
Ce que nous refusons :
Rejoignez-nous :
UNPI 95 - Union Nationale de la Propriété Immobilière du Val-d'Oise
09 73 51 14 60 ou au 06 95 98 98 78
unpi95sarcelles@unpi.fr
Rejoignez-nous pour défendre collectivement nos intérêts. Parce qu'ensemble, on est plus forts face à l'avalanche réglementaire.
Que nous enseignent ces histoires ?
Leçon n°1 : L'architecture ne cause jamais les révolutions seule. Mais elle crée des conditions matérielles (espaces de circulation chez Eltsine, concentrations géographiques chez Haussmann, ségrégation visible au Caire) qui facilitent ou entravent l'organisation collective.
Leçon n°2 : La ségrégation spatiale a des effets PSYCHOLOGIQUES massifs qu'on sous-estime. Stigmatisation, érosion de l'estime de soi, détresse mentale mesurable. Ce n'est pas qu'une question de statistiques.
Leçon n°3 : L'immobilier RÉVÈLE les inégalités qu'on préfère cacher. Au Caire, les statistiques officielles masquaient une inégalité immobilière massive. Les gated communities des élites vs les bidonvilles informels matérialisaient la fracture.
Leçon n°4 : Les solutions simplistes échouent. La mixité sociale magique (Allemagne), la ségrégation "par accident" (Haussmann), la réglementation punitive (France)... Rien ne marche seul. Il faut investir massivement ET intelligemment.
En France 2025, nous sommes à un carrefour :
Scénario 1 – La voie de l'aveuglement : Continuer comme maintenant. Normes punitives. Classes moyennes chassées. Banlieues abandonnées. Attendre que ça explose.
Scénario 2 – La voie de la lucidité : Apprendre de l'Histoire. Financer vraiment les transitions. Investir dans les territoires. Sanctionner les vrais enfoirés. Protéger les acteurs responsables.
Le choix est politique. Mais les conséquences seront architecturales, spatiales, psychologiques... et peut-être révolutionnaires.
Eltsine a créé des espaces qui ont facilité (parmi mille autres facteurs) la chute de l'URSS.
Haussmann a concentré géographiquement les forces qui ont produit la Commune.
Au Caire, les banlieues informelles stigmatisées ont fourni les bataillons de Place Tahrir.
L'Allemagne, avec ses moyens, galère à trouver des solutions.
Et nous ? Construisons-nous les conditions spatiales et psychologiques d'une révolte future ? Pas seules. Mais en combinaison avec chômage, discriminations, abandon... Probablement.
L'Histoire ne donne pas de certitudes. Elle donne des avertissements.
Les murs matérialisent nos choix collectifs. Ils s'impriment dans les corps, les espaces ET les psychés.
Et parfois, quand trop de fractures s'accumulent – économiques + sociales + spatiales + psychologiques – les murs deviennent le théâtre d'explosions qu'ils n'ont pas causées seuls mais qu'ils ont cruellement amplifiées.
Nous sommes prévenus.
L'immobilier est un amplificateur, pas une cause. Mais un amplificateur puissant. Eltsine, Haussmann, Le Caire et l'Allemagne nous l'enseignent : ignorer la dimension spatiale et psychologique du logement, c'est se condamner à revivre l'Histoire. En pire.
Maître Thomas CARBONNIER
Avocat au Barreau de Paris & Président de l'UNPI 95
Défenseur des propriétaires responsables, lecteur attentif de l'Histoire