Par Maître Thomas CARBONNIER Avocat fiscaliste et Président de l'UNPI 95 Sarcelles
Le crowdfunding immobilier séduit par sa simplicité apparente : investissez 5 000€, récupérez 10% d'intérêts en 24 mois. Pas de gestion locative, pas de travaux, pas de locataires difficiles. Les plateformes multiplient les promesses alléchantes et les success stories. Mais derrière cette façade lisse se cache une réalité brutale que presque personne ne comprend vraiment : vous ne détenez rien de tangible. Juste une créance—une simple promesse de remboursement. Et surtout, vous êtes structurellement le dernier de la file en cas de problème. Pourquoi acceptons-nous de prendre ce risque ? Comprenons-nous seulement ce dans quoi nous nous engageons ?
L'illusion vendue par les plateformes :
"Investissez dans l'immobilier dès 1 000€. Participez à la construction de logements à Sarcelles. Rendement : 10% par an. Sans gestion, sans tracas."
Le vocabulaire est soigneusement choisi : "investir", "immobilier", "participer". Ça ressemble à de l'immobilier. Ça parle d'immobilier. L'interface montre des photos de chantiers, de grues, de bâtiments.
La réalité juridique :
Vous ne possédez aucun bien immobilier. Vous ne détenez aucune pierre, aucun m², aucun appartement. Vous prêtez de l'argent à un promoteur immobilier, généralement sous forme d'obligations.
Juridiquement, vous êtes un créancier chirographaire—le terme technique pour dire : vous n'avez aucune garantie prioritaire, aucun droit réel sur le projet, aucune protection.
La différence est abyssale :
Quand vous achetez un appartement :
En crowdfunding immobilier :
C'est du prêt, pas de l'immobilier.
En cas de liquidation judiciaire du promoteur, voici l'ordre de paiement légal (articles 2284-2285 du Code civil) :
Une fois que tout le monde au-dessus de vous a été payé, s'il reste quelque chose—et c'est extrêmement rare—vous récupérez au prorata votre part avec les autres créanciers chirographaires. C'est le "paiement au marc-le-franc" : si l'actif restant représente 10% du passif chirographaire, vous récupérez 10% de votre créance.
Les statistiques sont implacables :
Dans 80-90% des liquidations judiciaires, les créanciers chirographaires ne récupèrent strictement rien. L'actif est entièrement absorbé par les rangs supérieurs.
Un exemple concret :
Un promoteur fait faillite. Actif liquidable : 2 millions d'euros. Passif :
Il reste : -100 000€. Les créanciers chirographaires (dont vous) ne touchent rien. Zéro.
Vous n'aviez aucun droit sur le terrain, aucune garantie sur les constructions, aucune hypothèque. Juste une promesse de remboursement. La promesse n'a plus de valeur.
C'est LA question que personne ne pose.
Les promoteurs immobiliers ont plusieurs options de financement, dans cet ordre de préférence :
Le crowdfunding est le financement de dernier recours, pas le premier choix.
Pourquoi ?
Si un promoteur accepte de payer 10% d'intérêts à des particuliers alors qu'une banque lui prêterait à 3-4%, c'est qu'il n'a pas réussi à obtenir 3-4% ailleurs.
Le marché fixe les prix. Un taux élevé = risque élevé. Toujours.
Parfois, c'est légitime :
Mais souvent, c'est un signal d'alerte :
Et vous, investisseur particulier non professionnel, vous financez ce projet que les professionnels ont refusé.
Les plateformes affichent : 8-12% de rendement annuel.
Ça semble attractif. Mais décortiquons :
Rendement brut affiché : 10%
Vous investissez 10 000€, vous récupérez 11 000€ au bout de 12 mois. Rendement brut : 10%.
Après impôts : 7%
Les gains sont imposés à 30% (flat tax). Il vous reste 700€ nets sur 1 000€ bruts. Rendement net : 7%.
Après risques de défaut : 5-6%
Les plateformes affichent 1-3% de défauts. Mais ce chiffre est trompeur :
Si vous investissez sur 10 projets à 10% chacun, et qu'1 projet perd 100%, votre rendement réel moyen tombe à 6-7% brut, soit 4-5% net après impôts.
Comparons avec d'autres placements :
Le crowdfunding n'est pas un placement miracle. C'est un placement risqué avec un rendement modeste après impôts et risques.
Pendant 12 à 36 mois, vous ne pouvez pas récupérer votre capital.
Peu importe la raison :
Vous êtes bloqué. Il n'existe pas de marché secondaire développé pour revendre vos parts de crowdfunding immobilier.
Comparons avec l'immobilier direct :
Vous possédez un appartement. Vous avez besoin de cash. Vous pouvez :
En crowdfunding : rien. Vous attendez l'échéance. Et vous priez pour que le promoteur rembourse.
Les plateformes comme Bricks.co communiquent : 3% de défauts (6 projets sur 210 selon leurs réponses officielles sur Trustpilot en octobre 2025).
Ce chiffre semble rassurant. Mais il cache plusieurs réalités :
1. Les "défauts" ne comptent que les pertes totales
Un projet en défaut = un projet en liquidation judiciaire où vous ne récupérez probablement rien.
Mais ce chiffre n'inclut pas :
2. Le paradoxe de Bricks : victime de son succès
Les avis Trustpilot révèlent un problème inattendu : beaucoup d'investisseurs n'arrivent plus à investir car les projets sont financés en quelques minutes.
Citations réelles d'investisseurs (octobre 2025) :
Le système de "répartition équitable" limite chaque investisseur à des micro-montants pour permettre à un maximum de personnes de participer. Résultat : si vous avez 50 000€ à investir, il vous faudra des mois pour tout placer.
3. L'illiquidité réelle : le marché secondaire fantôme
Bricks met en avant la possibilité de revendre ses parts sur un "marché secondaire". Mais les avis montrent la réalité :
Le marché secondaire existe en théorie. En pratique, il n'y a pas d'acheteurs. Si vous voulez sortir rapidement, vous êtes coincé.
4. Les anciens projets "royalties" : le cauchemar des premiers investisseurs
Avant 2023, Bricks fonctionnait avec un modèle "royalties" (redevances immobilières) sur 7-10 ans. Ces projets sont aujourd'hui en "gestion extinctive" (= on attend la vente des immeubles pour rembourser).
Mais certains investisseurs attendent depuis 3-5 ans :
Bricks répond systématiquement que ces projets sont en "procédure de sortie encadrée", mais les investisseurs voient leur argent bloqué sans visibilité.
5. Les rendements ont baissé... mais pas assez : le paradoxe qui révèle tout
Pourquoi ? Bricks explique que "les porteurs de projets empruntent aujourd'hui à des taux moins élevés".
Mais attendez : c'est là que ça ne tient pas.
Si des dizaines de milliers d'investisseurs se bousculent pour placer leur argent (40 000€ en attente pendant 5 mois, projets financés en quelques minutes), la loi de l'offre et la demande devrait faire chuter drastiquement les taux.
Comparons avec n'importe quel marché normal :
Quand il y a 10 acheteurs pour 1 bien immobilier, le prix monte de 20-30%. Quand il y a 100 candidats pour 1 emploi, les salaires baissent. Quand il y a trop d'épargne et pas assez d'opportunités d'investissement, les rendements s'effondrent.
Si Bricks avait vraiment un excès massif de demande, les taux devraient être à 3-4%, pas à 9%.
Les banques prêtent aux promoteurs solides à 3-4%. Si Bricks peut mobiliser des centaines de milliers d'euros en quelques minutes avec une demande insatiable, pourquoi les promoteurs accepteraient-ils de payer 9% ?
La réponse logique : parce que ces promoteurs n'obtiennent PAS 3-4% ailleurs.
Le taux de 9% ne reflète pas une rareté de l'offre de financement (il y en a trop). Il reflète le niveau de risque réel des projets.
Les promoteurs qui font appel à Bricks paient 9% parce qu'ils ne peuvent pas obtenir moins cher ailleurs. Les banques et les fonds d'investissement professionnels ont refusé ou imposé des conditions trop strictes.
Le paradoxe révèle la vérité :
Si les taux restent à 9% malgré une demande écrasante, c'est que le risque perçu par le marché reste élevé. Les plateformes ne peuvent pas baisser davantage sans que les projets ne trouvent pas preneurs—ou sans que les investisseurs les plus avertis ne fuient.
C'est un équilibre précaire : assez haut pour attirer les investisseurs particuliers (9% semble "intéressant"), mais pas assez bas pour que les promoteurs aillent voir ailleurs.
Ce que cela signifie pour vous :
9% de rendement brut n'est pas un "bon deal". C'est le prix du risque réel que vous prenez. Les professionnels ne prendraient pas ce risque à ce prix—c'est pourquoi les plateformes ciblent les particuliers.
Synthèse réaliste :
En immobilier direct :
Vous maîtrisez votre investissement.
En crowdfunding :
Le promoteur fait ce qu'il veut. Vous attendez. Vous espérez.
Et si ça tourne mal ?
Vous découvrez après coup que :
Vous ne pouviez rien anticiper, rien contrôler, rien éviter.
Question 1 : Pourquoi ce promoteur a-t-il besoin de crowdfunding ?
Avant d'investir, creusez :
Question 2 : Le marché local soutient-il ce projet ?
Question 3 : Comprenez-vous vraiment le projet ?
Si vous cliquez juste sur "investir" parce que le site est joli et le rendement attirant, vous prenez un risque aveugle.
Question 4 : Pouvez-vous vous permettre de perdre tout ce capital ?
La règle absolue : n'investissez en crowdfunding que l'argent dont vous n'avez pas besoin pendant au moins 3 ans ET que vous pouvez perdre totalement sans impact sur votre vie.
Si perdre 10 000€ vous empêche de payer vos factures, n'investissez pas.
Question 5 : Pourquoi ne pas investir en immobilier direct plutôt ?
Avec 50 000€, vous pouvez :
Ou :
Pourquoi choisir la seconde option ?
Règle 1 : Maximum 5-10% de votre patrimoine
Le crowdfunding immobilier ne doit jamais être votre placement principal. C'est un complément diversifiant—pas une base.
Règle 2 : Diversifiez massivement
Ne mettez jamais plus de 5% de votre capital crowdfunding sur un seul projet. Investissez sur 10-20 projets minimum.
Si 1 projet échoue, les 19 autres compensent.
Règle 3 : Privilégiez les plateformes établies
Règle 4 : Analysez chaque projet comme un professionnel
Ne vous fiez pas aux jolies photos. Lisez le dossier complet. Vérifiez :
Si quelque chose vous paraît louche, n'investissez pas.
Règle 5 : Acceptez l'illiquidité
N'investissez que l'argent dont vous n'aurez pas besoin pendant au moins 3 ans. Gardez une épargne de sécurité ailleurs (livret A, compte courant).
Règle 6 : Comprenez que vous êtes le dernier servi
En cas de problème, vous ne récupérerez probablement rien. Assumez ce risque. Si vous ne l'assumez pas, n'investissez pas.
Face aux risques réels du crowdfunding immobilier, l'UNPI 95 vous accompagne :
1. Ateliers thématiques trimestriels : "Crowdfunding immobilier : comprendre la vraie nature du risque"
2. Permanences juridiques gratuites (mardis 14h-18h, sur rendez-vous)
3. Analyse critique de projets : Vous envisagez d'investir dans un projet crowdfunding ? Nos experts analysent le dossier et vous alertent sur les signaux d'alerte.
Contactez-nous : unpi95sarcelles@unpi.f
Le crowdfunding immobilier n'est pas de l'investissement immobilier. C'est du prêt sans garantie à des promoteurs qui n'ont pas réussi à se financer ailleurs.
Vous êtes créancier chirographaire—le dernier de la file. En cas de problème, vous ne récupérez probablement rien.
Les rendements affichés (8-12% brut) se réduisent à 4-5% net après impôts et risques—comparable à l'immobilier direct ou aux SCPI, mais avec infiniment plus de risques et aucun contrôle.
Votre argent est bloqué 12-36 mois. Vous ne possédez rien de tangible. Vous ne maîtrisez rien.
Alors pourquoi les plateformes séduisent-elles autant ?
Parce qu'elles ont créé une illusion de simplicité. L'interface est lisse, le processus est rapide, le vocabulaire est rassurant ("investir", "participer", "immobilier").
Mais derrière cette façade se cache une réalité brutale : vous prêtez de l'argent sans garantie à des projets risqués que les banques et les fonds professionnels ont refusé de financer.
Notre conseil :
Si vous avez 50 000€ à investir dans l'immobilier, privilégiez :
Le crowdfunding immobilier peut avoir une petite place (5-10% maximum) dans un portefeuille très diversifié—mais seulement si vous :
Sinon, passez votre chemin.
Maître Thomas CARBONNIER avocat fiscaliste et président de l'UNPI 95. Pour comprendre les vrais risques du crowdfunding immobilier et analyser des projets avant d'investir, n'hésitez pas à nous contacter.